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bêtise : quelque chose de l'ordre de la chrématistique plutôt
que de l'économie, pour se servir encore de cette distinction
intenable mais commode.
La bêtise n'est pas, en principe, le caractère d'une bête. On
ne dit pas en français d'une bête qu'elle est bête. Il y a des
bêtes bêtes, par exemple les « mauvais chiens » de bourgeois
que, nous l'avons vu, l'analogie ou l'anthropomorphisme de
Baudelaire oppose aux « bons chiens », aux pauvres et aux
poètes, etc. Mais la bêtise de ces bêtes est une bêtise humaine.
Rien n'est moins bête que les « chiens qu'on fouette » et dont
les « yeux larmoyants » disent la demande infinie : dans cette
histoire de l'Sil, la vérité du don - comme de l'Sil  serait
(dé)voilée par le voile des larmes plutôt que par la vue. La
bêtise, c'est ici, aux yeux du narrateur du moins, le propre
de l'homme, d'un animal rationnel qui ne veut pas user de
la raison, qui ne peut pas vouloir ou ne veut pas pouvoir en
user : comme un homme qui, dirait Kant, n'aurait pas le
pouvoir ou la force de vouloir accéder aux Lumières, c'est-à-
dire à la majorité humaine. Cet homme serait responsable de
son irresponsabilité, et de ne pas être encore majeur alors qu'il
l'est ou peut déjà l'être. Il n'aurait pas eu le courage d'oser
se servir de son propre entendement, et d'abord de comprendre
la devise des Lumières : Sapere aude!
La bêtise de l'ami, aux yeux du narrateur, tient à ce
qu'il ne veut pas comprendre et non seulement à ce qu'il
ne peut pas comprendre. Il pourrait comprendre, il devrait
comprendre, il aurait dû comprendre. Si cynique ou cal-
culateur qu'il ait été, à la recherche du compromis écono-
mique, si perfide, retors ou demi-habile, si condamnable et
criminel qu'ait été son calcul, il aurait été presque pardon-
nable s'il avait au moins fait ce qu'il pouvait, ce qu'il
devait pouvoir ou pouvait devoir pour en avoir la conscience
et l'intelligence : donc déjà le commencement d'un remords.
Cela suppose qu'entre la connaissance et l'aveu, le passage
212
L'excuse et le pardon
est nécessaire, et que la confession appartient à l'ordre de
la vérité connue ou de la raison  théorique ou pratique  ,
ce dont nous avons toutes les raisons de douter : l'aveu
ne consiste pas essentiellement à porter à la connaissance de
l'autre. On peut informer l'autre d'un crime qu'on a commis
sans que cet acte consiste à avouer ou à confesser. La signifi-
cation intentionnelle de l'aveu suppose donc qu'on n'avoue
pas pour informer, pour renseigner ou enseigner, pour faire
savoir. Conséquence : la pureté eidétique de l'aveu apparaît
mieux quand l'autre est déjà en situation de savoir ce que
j'avoue; c'est pourquoi Augustin se demande si souvent pour-
quoi il se confesse à Dieu qui sait tout.
L'ami n'a pas fait ce qu'il devait pour savoir qu'il était
méchant, pour le faire savoir et pour se l'avouer. Et c'est ce
procès qu'il faut lire, cette accusation qu'il faut entendre sous
le mot de bêtise dès lors qu'elle est dite irréparable en tant
que cause du mal, du « mal par bêtise ». La bêtise n'est pas
un état, un caractère, une limite génétique, une donnée natu-
relle, native, innée, une impuissance constatable. La bêtise,
dans ce contexte, a la portée d'un certain rapport, c'est une
certaine relation, un certain comportement à l'égard d'un
pouvoir intellectuel ou plus généralement d'un pouvoir her-
méneutique qui est inscrit en nous par la nature comme un
capital génétique donné à tous en partage à la naissance, une
sorte de bon sens universel ou d'ingenium qui devrait toujours
être disponible.
La perversion bête de l'ami, le « mal par bêtise », n'a
pas consisté à faire le mal, ni à ne pas comprendre, mais
à mal faire en ne faisant pas tout ce qu'il devait pouvoir
faire pour comprendre le mal qu'il faisait, mais qu'il faisait
en ne faisant pas tout ce qu'il devait pouvoir faire pour
comprendre le mal qu'il faisait, mais qu'il faisait par cela
même. Dans ce cercle  ou plutôt dans la morsure caudale
de ce texte, de ce morceau de texte, de ce morceau de
213
Donner le temps
serpent  , l'ami est finalement accusé de ne pas avoir honoré
le contrat qui le liait au don de la nature. La nature lui
a fait cadeau, comme à tout le monde, au présent ou à
crédit, d'un présent, le capital d'une faculté d'entendement. [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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